La « santé mentale » est devenue une antienne du débat public. Mais comment rendre compte de la diversité du champ que recouvre cette expression ? Comment peut-on l'affranchir des représentations négatives de la folie ? Comment peut-on éviter le piège de la réduction à la seule dimension de soins cliniques ? Ce dossier entend contribuer à... Lire la suite
La « santé mentale » est devenue une antienne du débat public. Mais comment rendre compte de la diversité du champ que recouvre cette expression ? Comment peut-on l'affranchir des représentations négatives de la folie ? Comment peut-on éviter le piège de la réduction à la seule dimension de soins cliniques ? Ce dossier entend contribuer à faire de la santé mentale une notion positive, prenant en compte ses interactions avec toutes les dimensions de la vie en société.
Santé mentale. Voilà un syntagme que l’on retrouve sur (presque) toutes les lèvres depuis le début de la pandémie de Covid-19. Si l’on en croit les discours politico-médiatiques, le bienêtre psychologique préoccupe désormais toute la population.
Chacune, chacun semble maintenant prendre conscience de la centralité de ce champ dans nos vies, et notamment de la manière dont notre santé mentale est influencée, en amont, par un nombre considérable de facteurs. Pourtant, lorsque l’on parle de santé, mentale ou physique, et singulièrement des politiques publiques dans ce domaine, ce n’est la plupart du temps que sous l’angle des soins, en aval. Comme si, plus de septante ans après la création de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont la Constitution définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social et […] pas seulement [comme] une absence de maladie ou d’infirmité », nous en étions toujours réduits à confondre santé et médecine.
Les épisodes successifs de confinement-déconfinement que nous vivons depuis plus d’un an, et les discours véhéments sur l’importance de l’école, de l’emploi, ou des liens sociaux quant à notre équilibre psychologique auront-ils permis un changement de paradigme ? On l’espère, tout comme on peut formuler le souhait que ces derniers mois aient pu réduire (un peu) les stigmates qui marquent tout le champ de la santé mentale.
Car c’est sans doute là un des traits qui distinguent la santé mentale de la santé générale : aujourd’hui encore, consulter « un psy » reste bien souvent une démarche taboue, tue, de crainte d’être marqué du sceau infamant de la folie. « Fou » : le mot lui-même est mobilisé dans notre langage quotidien pour fustiger tout comportement jugé non conforme à ce que nous estimons être l’attitude attendue d’un être humain « normal ».
C’est pourquoi un des axes centraux des politiques publiques menées ces dernières années en matière de santé mentale est la déstigmatisation. C’est notamment un des cinq objectifs de la réforme des soins en santé mentale menée depuis dix ans en Belgique, la « réforme 107 », dont Sophie Thunus et Carole Walker nous retracent la naissance et l’évolution en introduction de ce dossier. Au-delà de la dimension historique, leur récit souligne la difficulté, et en même temps l’absolue nécessité, d’un consensus entre acteurs politiques et soignants au sens large [1] sur ce que recouvre la notion même de santé mentale, et sur les dispositifs les plus pertinents à déployer. Elles mettent également en lumière de nouvelles formes de « soins », coconstruites avec les usagers, dans des structures qu’elles appellent les « lieux du lien ».
De lien, il en est question aussi dans la contribution que nous proposons avec Hülya Çakir et Manu Gonçalves sur l’accès aux soins pour les publics précarisés. Puisque la condition sociale d’un individu se répercute sur son état de santé, il conviendrait de faciliter sa prise en charge. Or, celle-ci est souvent compliquée à offrir pour des soignants habitués à ce qu’on leur adresse une « demande », rarement formulée par une population plus habituée au rejet et à l’exclusion qu’au soutien et à l’accompagnement. C’est pourquoi un changement de posture est nécessaire : entrer en relation et créer la confiance doivent être considérés comme aussi importants qu’offrir des soins.
Le « professionnel » et « l’usager » doivent donc faire alliance. C’est sur ce principe que se fonde l’idée de rétablissement, que nous décrivent François Wyngaerden et Muriel Allart. Le mouvement du rétablissement, entrepris par les usagers des services psychiatriques, renverse la perspective sur les soins de santé mentale en plaçant les choix de l’usager au centre et en promouvant l’espoir qu’une vie satisfaisante soit possible, malgré les troubles. Ce faisant, le rétablissement induit également un changement d’attitude chez les professionnels de la santé.
Certaines personnes suffisamment rétablies mettent leur expérience au service d’autres. Ce sont les pairs-aidants. Stéphane Waha clôture ce dossier en mettant en exergue les apports de la pair-aidance et les résistances qui subsistent à son égard en Belgique francophone. Des résistances qui ne sont pas étrangères aux représentations de la santé mentale, de la maladie mentale, et du patient, et dont les soignants eux-mêmes (ou une part d’entre eux à tout le moins) ne sont pas exempts.
Mais puisque la santé mentale a dorénavant fait irruption dans le débat public, il nous faut prendre appui sur cet intérêt soudain, saisir l’opportunité pour en faire une notion positive, qui prenne en compte ses interactions avec toutes les dimensions de la vie en société. En bref : prendre soin de la santé mentale.