"Dans ces leçons données à Louvain, Michel Foucault réexamine les racines de la justice pénale. Édité avec érudition et avec verve, ce volume constitue un complément important des publications posthumes de Foucault." Colin... Read More
Aux mois d'avril et de mai 1981, Michel Foucault prononce un cours qu'il intitule Mal faire, dire vrai. Fonction de l'aveu en justice. Il y poursuit l'élaboration de la notion de gouvernement par la vérité, introduite en janvier 1979 dans La naissance de la biopolitique puis reprise en janvier 1980 dans Le gouvernement des vivants pour donner un contenu positif et différencié à la notion de savoir-pouvoir et opérer par rapport à celle d'idéologie dominante un second déplacement.
Le cours est la trace d'un engagement militant : le fruit de l'alliance nouée avec des juristes radicaux, sous l'égide de l'École de criminologie de l'Université catholique de Louvain, à l'occasion d'un projet de révision du code pénal en vigueur en Belgique. Adressé à un public de juristes et de criminologues, il replace l'analyse du développement de l’aveu pénal dans l’histoire plus générale des technologies du sujet et examine diverses techniques par lesquelles l’individu est amené, soit par lui-même, soit avec l’aide ou sous la direction d’un autre, à se transformer et à modifier son rapport à soi. D’entrée de jeu, Michel Foucault annonce que le problème qui l’occupe a deux aspects. Politique : « savoir comment l’individu se trouve lié, et accepte de se lier au pouvoir qui s’exerce sur lui ». Philosophique : « savoir comment les sujets sont effectivement liés dans et par les formes de véridiction où ils s’engagent ».
Ainsi conçues, les leçons peuvent se lire comme une suite donnée à Surveiller et punir ou comme une première esquisse de l’analyse de la parrêsia et des formes alêthurgiques développée dans Le courage de la vérité. Avec le sujet avouant, ce n’est pas seulement le thème du dire vrai qui est introduit. Parce que les formes de véridiction ont partie liée avec l’assujettissement et la déprise de soi, c’est aussi la question de ce qui s’en déduit pour la philosophie critique – qu’en l’occurrence, Michel Foucault met en œuvre, à la croisée de l’activité pratique et de l’activité théorique, de la politique et de l’éthique.
« On parle souvent de la récente domination de la science ou de l’uniformisation technique du monde moderne. Disons que c’est là la question du "positivisme", au sens comtien du terme, et peut-être vaudrait-il mieux associer à ce thème le nom de Saint-Simon. Je voudrais évoquer, pour y loger les analyses que je vous propose, un contre-positivisme qui n’est pas le contraire du positivisme, plutôt son contrepoint. Il se caractériserait par l’ étonnement devant la très ancienne multiplication et prolifération du dire vrai, la dispersion des régimes de véridiction dans des sociétés comme les nôtres. »
Cet ouvrage, coédité par les Presses universitaires de Louvain et University of Chicago Press, est le fruit d’une collaboration entre l’École de criminologie de l’Université catholique de Louvain et University of Chicago.
Note des éditeurs.............................................................................................................V
Conférence inaugurale.....................................................................................................1
Leuret, l'aveu et l'opération thérapeutique. – Effets supposés du dire vrai sur soi et de
la connaissance de soi. – Caractères de l'aveu. – Extension dans les sociétés chrétiennes
occidentales : des individus liés à leur vérité, et obligés dans leurs rapports aux autres par
la vérité dite. – Un problème historico-politique : comment l’individu se lie à sa vérité
et au pouvoir qui s’exerce sur lui. – Un problème historico-philosophique : comment
les individus sont liés par les formes de véridiction où ils s’engagent. – Un contrepoint
au positivisme : la philosophie critique des véridictions. – Le problème du « qui juge-ton
? » dans l’institution pénale. – Pratique pénale et technologie de gouvernement. – Le
gouvernement par la vérité.
Leçon du 22 avril 1981...................................................................................................17
Une ethnologie politique et institutionnelle de la parole vraie. – Dire vrai, dire juste. –
Limites de l’étude. – Véridiction et juridiction dans l’Iliade d’Homère. – Le combat de
Ménélas et Antilokhos. – Objet de l’aveu d’Antilokhos. – Justice et agôn ; agôn et vérité.
– La course et le défi de serment, deux liturgies du vrai, deux jeux destinés à représenter
avec justesse la vérité des forces. – Un rituel de commémoration. – Véridiction et
juridiction dans Les travaux et les jours d’Hésiode. – Le dikazein et le krinein. – Le
serment des plaideurs et des cojureurs dans le dikazein : un jeu à deux, le critère étant
le poids social des adversaires. – Le serment du juge dans le krinein : un jeu à trois, le
critère étant le dikaion. – Du poids social des adversaires à la « réalité des choses » :
dikaion et alêthes.
Leçon du 28 avril 1981...................................................................................................47
Représentation du droit dans OEdipe roi, de Sophocle. – Un paradigme judiciaire. – Les
ressorts de la tragédie. – Deux anagnôriseis, trois alêthurgies. – Véridiction et prophétie.
– Véridiction et tyrannie. – Véridiction et témoignage d’aveu. – Grandeur des parties,
liberté de parole et conditions de l’effet de vérité dans l’enquête. – La reconnaissance par
le choeur, condition de la reconnaissance par OEdipe. – Du dire vrai au dire « je ». – Une
procédure conforme au nomos, une véridiction qui répète celle du prophète et complète
celle de l’homme de la tekhnê tekhnês.
Leçon du 29 avril 1981...................................................................................................89
Herméneutique du texte et herméneutique de soi dans le christianisme primitif. –
Véridiction de soi dans l’Antiquité païenne. – L’examen de conscience pythagoricien :
purification de soi et mnémotechnique. – L’examen de conscience stoïcien : gouvernement
de soi et remémoration du code. – L’expositio animae stoïcienne : médecine des passions
et degré de liberté. – La pénitence dans le christianisme primitif. – Le problème de
la réintégration. – La pénitence, un statut qui manifeste un état. – Significations de
l’exomologèse. – Une vie en forme d’aveu, un aveu en forme de vie. – Un rituel de
supplication – Davantage que le modèle médical ou judiciaire, celui du martyre. –
Véridiction de soi et mortification de soi – De la publication de soi comme pécheur à la
verbalisation de soi : tentation et illusion.
Leçon du 6 mai 1981.................................................................................................... 123
Pratique de la véridiction dans les institutions monastiques du IVe-Ve siècle : les
Apophtegmata Patrum et les écrits de Cassien. – Le monachisme entre vie de pénitence et
existence philosophique. – Caractères de la direction de conscience antique. – Caractères
de la direction de conscience dans le monachisme : une obéissance indéfinie, formelle
et auto-référée ; humilité, patience et soumission ; inversion du rapport de verbalisation.
– Caractères de l’examen de conscience dans le monachisme : de l’actum à la cogitatio.
– Mobilité de la pensée et illusion. – Discrimen et discretio : aveu et origine de la pensée.
– Véridiction de soi, herméneutique de la pensée et sujet de droit.
Leçon du 13 mai 1981.................................................................................................. 161
Caractères de l’exagoreusis au IVe-Ve siècle. – Renonciation à soi. – Vérité du texte
et vérité de soi. – Affranchissement et ajustement de l’herméneutique du texte et de
l’herméneutique de soi dans le protestantisme. – Illusion, évidence et sens (Descartes et
Locke). – Illusion de soi sur soi et inconscient (Schopenhauer et Freud). – Juridification
de l’aveu dans la tradition ecclésiastique du IVe au VIIe siècle. – Compénétration de
l’exagoreusis et de l’exomologèse dans les premières communautés monastiques et de
laïcs. – Caractères et origines de la pénitence tarifée : modèle monastique et modèle du
droit germanique. – Sacrementalisation et institution de la confession obligatoire au XIIe
siècle. – Juridification des rapports entre l’homme et Dieu. – Formes et significations de
l’aveu dans la confessio oris.
Leçon du 20 mai 1981...................................................................................................199
Juridification dans les institutions ecclésiastiques et politiques. – Du Dieu juge à l’État de
justice : souveraineté et vérité. – Aveu, torture et épreuve inquisitoire de la vérité. – Aveu,
torture et preuves légales. – Aveu, loi souveraine, conscience souveraine et engagement
punitif. – Auto-véridiction, évidence et dramaturgie pénale. – Hétéro-véridiction,
examen et psychiatrie légale. – Rapporter l’acte à l’auteur : la question de la subjectivité
criminelle au XIXe siècle. – La monomanie et la constitution du crime comme objet
psychiatrique. – La dégénérescence et la constitution du criminel comme objet de la
défense sociale. – De la responsabilité à la dangerosité, du sujet de droit à l’individu
criminel. – La question de la subjectivité criminelle au XXe siècle. – Herméneutique du
sujet et signification du crime pour le criminel. – Accident, probabilité et indice de risque
criminel. – La véridiction du sujet, brèche du système pénal contemporain.
Entretien de Michel Foucault avec André Berten, 7 mai 1981.....................................235
Entretien de Michel Foucault avec Jean François et John De Wit, 22 mai 1981..........247
Situation du cours.........................................................................................................263
Remerciements..............................................................................................................327
Index des noms communs.............................................................................................329
Index des noms propres................................................................................................359