Le mouvement des Indignés, le 15-M, fut un mouvement d'une ampleur inédite, qui bouleversa des pans de la société espagnole. Il constitua, en Espagne et au-delà, un espoir de renouveau politique et social. C’était il y a dix ans déjà… Quelles traces en reste-t-il ? Le dossier de ce numéro tente de répondre à cette question Read More
La date du 15 mai 2021 correspond au dixième anniversaire de l'éclosion sur la scène publique du mouvement des Indignés (aussi connu sous l’appellation 15-M) qui tira de sa torpeur un pays durement touché par la crise.
Depuis la fin des années 1990, l’Espagne avait vécu des années d’euphorie en profitant des dividendes d’une croissance exceptionnelle. L’avenir lui appartenait et l’Espagnol était le plus optimiste et le plus heureux des Européens, selon une enquête d’Eurostat de 2007. Un an plus tard, le tsunami provoqué par la crise mondiale balayait brutalement cette joie de vivre et cette confiance en l’avenir. Les Espagnols, arrachés à leurs rêves de prospérité, peinaient à reconnaitre leur pays : faillites en cascade, taux de chômage record (en particulier celui des jeunes qui dépassait les 50 %), baisses des salaires de la fonction publique, arrêt de la revalorisation des pensions, incapacité à payer les emprunts hypothécaires et expulsions massives des logements, hausse de la TVA, etc.
À la fin de l’année 2011, le gouvernement Zapatero (PSOE) céda la place à celui de Mariano Rajoy (PP) qui redoubla les mesures d’austérité mises en place par les socialistes. La crise, qui n’était au départ qu’économique, se mua en crise politique (dénonciation du bipartisme, de la corruption, des privilèges, etc.), sociale (chômage, enseignement, émigration forcée, coupes budgétaires, crise du logement, pensions…), institutionnelle (scandales de corruption dans la famille royale, contestation des privilèges de l’Église catholique, etc.) et territoriale (processus indépendantiste catalan qui débute en 2012).
Inspirés par les révoltes au Portugal, en Grèce et en Islande, mais aussi par les printemps arabes, les Espagnols firent entendre leur voix au lieu de rester anesthésiés dans leur fauteuil devant la télé ou accoudés à un bar. Ainsi, le 15 mai 2011, une manifestation générale — convoquée par la plateforme Democracia Real Ya — connut un succès inespéré, rassemblant des dizaines de milliers de manifestants à travers les grandes villes espagnoles. Les citoyens descendaient dans les rues pour exiger une réforme du système électoral mettant un terme au bipartisme, pour s’opposer au capitalisme sauvage, à la spéculation financière, aux mesures d’austérité et pour dénoncer la corruption des élites politico-financières.
À la tombée de la nuit du 15-M, une vingtaine de personnes décidèrent de camper sur la Plaza del Sol de Madrid. Cette idée spontanée se répandit à travers les réseaux sociaux, drainant toujours davantage de campeurs. Des campements fleurirent sur d’autres places à travers le pays. Au petit matin du 16 mai, les manifestants madrilènes furent délogés par les forces de l’ordre et une vingtaine d’entre eux furent arrêtés. Le 17 mai, la Plaza del Sol fut reprise, ils étaient plus de dix-mille cette fois. Le mouvement pacifique des Indignés était né.