Police : violence démocratique ?

La Revue Nouvelle n°4/2022
First Edition

Que nous souhaitions l'abolir, la réformer ou la réinventer, notre rapport à la police est souvent révélateur de notre rapport à l’État et aux institutions. De l’agent de quartier au policier antiterroriste en passant par le patrouilleur ou l’enquêteur de la brigade des mœurs, que fait réellement la police ou plutôt que devrait-elle faire pour pouvoir être qualifiée de démocratique ?

Débattre de la police n’est pas chose aisée, notamment parce que démocratie et police sont des notions qui entretiennent des rapports pour le moins complexes. D’une part, la démocratie vise l’institution d’un régime de libertés collectives et individuelles fondé sur le consentement et la mise en place d’une concurrence pacifiée entre différentes conceptions de la vie bonne. D’autre part, le concept de police, qui précède la création de l’institution policière, repose sur l’idée de la nécessité d’une régulation des relations sociales, à des fins de maintien de l’ordre et de la normativité (démocratique ou non), au besoin par l’usage de la force. Cette idée d’une société policée — ou à policer — ouvre sur une infinité de questionnements.

Dans les sociétés qui sont les nôtres, une bonne part de ces questionnements pointent vers une institution spécifiquement créée pour policer la société : LA police. Mais la complexité demeure, tant les tâches de la « force publique » sont nombreuses et le regard que portent sur elles les citoyens varie avec (entre autres) leur statut socioéconomique, leur activité professionnelle, leur origine, leur genre ou leur orientation sexuelle.

Aujourd’hui, la force publique est une fois de plus au cœur de débats houleux : la libération de la parole des minorités raciales et sexuelles à propos des violences (au sens large) qu’elles subissent au quotidien a contribué à envisager la police sous un angle différent. L’institution qui devrait idéalement les protéger s’avère être elle-même source d’insécurité pour ces minorités lorsqu’elle agit comme gardienne de l’ordre social, plutôt que comme garante de l’ordre légal. Mouvements féministes, antiracistes et queer soulèvent des questionnements que nous pourrions résumer comme suit : comment une institution à la culture professionnelle machiste et raciste, composée pour la grande majorité d’hommes blancs et hétérosexuels peut-elle répondre aux besoins sécuritaires des minorités inexistantes en son sein ? La force publique serait pour beaucoup une version concentrée et opaque du modèle social normatif responsable de la marginalisation de tout ce qui ne ressemble pas à la majorité.

Dans l’article introductif de ce dossier, Emmanuelle Alves Da Silva, collaboratrice au service Accompagnement & Formation à Unia, aborde la question des attentes des victimes envers la police et la manière dont celles-ci entrent en conflit avec la culture professionnelle de l’institution complexe qu’est la police.

Notre deuxième contributrice est la juriste et criminologue Sarah Van Praet, qui a passé 420 heures en observation au sein d’une zone de police bruxelloise. Elle interroge la sélectivité policière, la manière dont les services de police choisissent les populations auxquelles elle s’adresse. Elle met notamment en lumière la complexité de la question, en partie due au fait que la police est à la disposition de la population, laquelle requerra son intervention dans des situations où les biais racistes ou classistes peuvent être puissants. En fin de compte, la police ne choisit pas nécessairement ses cibles, lesquelles lui sont souvent désignées par la population elle-même.

François Fecteau, docteur en sciences politiques, aborde, dans un troisième article, la question de la criminalisation des mouvements militants. Comment l’imaginaire néolibéral ainsi que les politiques et conceptions qui en découlent, peuvent-ils conduire à transformer toute demande de réforme sociale et économique en une menace sécuritaire susceptible de déclencher une réaction policière ? Se profile à nouveau la question des usages qui sont faits, collectivement, de la police.

La quatrième contribution, de Sybille Smeets et Carrol Tange, criminologues, porte sur l’épineuse question de l’évaluation des forces de l’ordre. Qui doit évaluer la police et comment cette évaluation doit-elle être menée ? La question est essentielle en démocratie, tant il est indispensable que les actions répressives fassent l’objet d’une justification reposant, notamment, sur la démonstration de leur utilité. La problématique est remarquablement délicate, en ce qu’elle oblige à se demander ce que nous attendons collectivement de notre police ?

Enfin, un article de Saskia Simon, anthropologue et coordinatrice de Police Watch, l’observatoire des violences policières de la Ligue des droits humains, traite de la nécessaire prise en compte de l’expérience des victimes de violences policières afin de leur donner une chance de se reconstruire et, surtout, de rétablir leur confiance dans les institutions.

Sans avoir l’ambition de faire le tour de la question, le présent dossier entend amorcer une série d’interrogations essentielles pour une police à vocation démocratique. Il s’agit avant tout d’ouvrir des réflexions collectives visant à mettre en question les services de police. Cette démarche n’est en rien une opposition aux services de police, mais au contraire, une conséquence logique de leur intégration à un État aux visées démocratiques. L’interrogation des missions et moyens d’action de la police fait partie du jeu normal de la démocratie, et le débat à leur sujet est précisément le moyen de la légitimation des institutions concernées. C’est par ailleurs l’occasion d’adresser à une institution, en réforme organisationnelle constante depuis des années, des questions ne tenant pas au management ni aux voies et moyens, mais aux finalités et aux modalités de son action.

De plus, le retour à la complexité que nous tentons ici d’opérer s’oppose judicieusement aux constantes tentatives d’instrumentalisation politique des questions policières et indique à quel point le champ concerné est compliqué et ne peut être abordé par le petit bout de la lorgnette d’un seul des acteurs en présence. Si la police ambitionne d’être légitime dans un contexte démocratique, il est nécessaire d’aborder les questions qui la concernent avec toute la difficulté et toutes les nuances qui sont le propre des régimes subtils qui refusent de voir la matraque comme une fin en soi.


Paperback - In French 12.00 €

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Specifications


Publisher
La Revue nouvelle
Author
La Revue Nouvelle,
Journal
La Revue Nouvelle
ISSN
00353809
Language
French
Publisher Category
Economics and Social Sciences
Onix Audience Codes
06 Professional and scholarly
Title First Published
30 April 2022

Paperback


Product Detail
1
Publication Date
30 April 2020
ISBN-13
0353809202204
Code
0353809202204
Dimensions
16 x 27 cm
List Price
12.00 €
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Version 2.1, Version 3

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